Votre vie semble fort captivante !------------------------------------------

Anecdote : « C’est hors de question. Non, je ne peux pas faire ça… Elly, revient ici ! » J’ai cogné violemment contre le comptoir du bar, sur lequel s’amoncelait un nombre incroyable de verres vides. Bon sang, mais comment était-il possible que l’on ait eu autant de clients juste ce soir ? Alors que d’habitude, c’était plutôt calme. Je me suis appuyée sur mes mains, laissant tomber ma tête lourde entre mes bras amaigris. Trois mois, il y avait bientôt trois mois. Il était deux heures du matin, et me tombait dessus la triste constatation que je n’avais réussi à rien avec Elisabeth, pas plus qu’avec mon prétendu travail sur moi-même. « Foutus psychologues… » J’ai relevé la tête au moment même ou un type, grand et brun, entrait dans le bar. « Désolée, c’est fermé. » J’ai secoué la tête, et me suis tournée pour arranger les bouteilles. « Désolé de vous déranger… En fait, je cherche un job, et… » Mon portable vibra sur le marbre du comptoir, et j’ai sursauté comme une folle. L’annonce disait « Elly », et j’ai attrapé mon téléphone en indiquant au grand brun d’attendre une minute. « Allô ? » « J’rentre pas à la maison ce soir, Jules. Bonne nuit ». « ELLY ! » La tonalité me sonna dans l’oreille, mon hurlement retentissant dans le bar vide sans aucun effet. J’ai soupiré, en envoyant valser le téléphone, et me ré-appuyant contre le comptoir, j’ai avisé l’étranger, qui semblait gêné. Il avait des raisons de l’être, ceci-dit. « Oui ? » « Je cherche un job. Dans le coin. » Il a sourit doucement en haussant une épaule, et j’ai attrapé une feuille et un stylo de mes mains mouillées par le savon. « Faut voir ça avec le patron, il est pas là ce soir. Laissez les informations sur la feuille, et un numéro de téléphone, il vous rappelera. » Il a hoché la tête, et s’est assis à une table pour écrire. « J’vous sers quelque chose ? » Il a haussé une épaule, puis hoché la tête de nouveau « Pourquoi pas ? » J’ai tiré une bouteille de whisky, en dessous du comptoir, pris deux verres, et me suis avancée vers sa table. « Je m’appelle Juliet. Désolée pour… la crise. » Il a ri légèrement en continuant à écrire. « Arthur. Enchanté. » J’ai rempli les deux verres de whisky, et j’en ai tiré un vers moi. Une alarme, celle qui s’appelle conscience, a résonné dans ma tête à ce moment là, mais je l’ai soigneusement ignorée, pour me concentrer sur Arthur. « Vous savez faire quoi ? » « Tout. Je peux faire plein de trucs… De la compta ? Ou des cocktails même. » Il a repoussé la feuille remplie d’écritures en pâtes de mouche vers moi, et a attiré le verre vers lui.


« Quand, la dernière crise ? » « Il y a quelques jours. Une semaine, peut être. » « Tachez d’être plus précise, Juliet. C’est important. » « C’était mercredi. » « Sept jours donc. » « Oui. Une semaine. » J’ai soupiré, en tapant du bout des ongles sur le fauteuil en cuir. Je devinais les questions qui suivraient, et comment supportez vous le traitement, et avez-vous des idées sombres régulièrement, et comment ça se passe avec votre sœur, et rencontrez vous du monde ? Oui Madame, je rencontre Arthur, c’est mon nouveau collègue de travail, il est au courant de tout, il sait, et ça fait tellement du bien, il m’aide, et il me conseille, et… J’ai secoué la tête. Impossible de lui raconter ça, elle serait très contente, et obligée d’apprendre que j’avais bu, et dans ce cas-là, je pouvais dire adieu tout de suite à la tutelle d’Elly. J’ai appuyé nerveusement sur l’accoudoir du fauteuil rouge que je connaissais trop bien, et je me suis enfoncée dans mon siège pour arrêter de trembler. Elle a du remarquer mon trouble, mais n’a pas fait de remarques. « Je valide cette semaine. Mais faites attention, et n’oubliez pas Juliet, au premier faux pas, ils seront trop contents de l’emmener loin de vous.
Je suis rentrée à la maison avec empressement, pour annoncer la nouvelle à ma sœur. « C’est bon pour cette semaine, aussi, Elly. » Elle a maugréé dans son coin, et j’ai froncé les sourcils, peinée. « Tu as entendu ? C’est bon, pour cette semaine. » « Lâche-moi. J’ai entendu. T’as fait ton truc de psychopathe et c’est bon. Cool. » J’ai écarquillé les yeux, et me suis approchée d’elle hâtivement. Elle était assise sur sa chaise de bureau, crayonnait des dessins sur une feuille blanche. « Je fais des efforts, c’est difficile pour moi, Elly… » Elle a secoué la tête, m’a montré la porte. Je suis sortie en claquant cette dernière d’un geste vif, et suis allée me réfugier dans ma chambre. J’ai sorti mes comptes, pour faire le point, et me suis mise sous ma couette, ordonnant à mes larmes de ne pas couler.

« Je sors. J’rentre pas ! » Elle a claqué la porte du bas, et j’ai entrouvert mes yeux humides, avant de les refermes, et de sombrer une fois de plus dans un sommeil agité.

J’étais incapable de me décider à sortir de mon lit. On était samedi, une bonne excuse pour rester couchée, mais j’avais quelque chose à faire, j’en étais persuadée. J’ai attrapé mon téléphone, et j’ai appelé ma soeur. « Bon sang, Elly ! J’ai un truc à faire, dis moi quoi ! » Ma soeur était visiblement occupée, « Je te rappelle Juliet, je suis avec quelqu’un bordel ! » Pardon ? J’ai déglutit avec difficulté, et rabattu la couette au dessus de ma tête. « Je te demande pardon ? Je me tue corps et âme pour toi ! J’ai besoin de toi ! Papa et Maman voulaient que tu veilles sur moi comme eux le faisaient ! ELLY ! » Je bouillais d’une rage intérieure folle, et ma soeur a du sentir que le temps était à la crise. Elle a toussé doucement, et m’a demandé, d’une voix basse, beaucoup plus aimable, plus douce. « Jules, est-ce que tout va bien ? » C’était la question clé. Est-ce que tout allait bien ? Evidement que non ! J’avais quelque chose à faire, quelque chose d’important, de capital, et j’étais infoutue de me rappeler quoi, ma sœur me détestait, et pourtant, j’étais sa tutrice, et nos parents s’étaient tués dans un accident de voiture trois mois plus tôt ! Bon sang, ce que la vie était conne, parfois ! « NON, CA NE VA PAS ! ». Elle a soupiré fortement, et à ce moment précis, la part raisonnable de moi, celle qui ne faisait pas de crises, à ressenti une vague violente de culpabilité. Malheureusement, l’autre partie n’a pas supporté, et j’ai explosé en sanglot, hoquetant de colère, et envoyant balader le combiné à l’autre bout de la pièce. J’ai hurlé, hurlé encore, pendant de longues minutes, avant de m’écrouler de désespoir, retombant inerte dans mon lit. « Papa… » Une voix triste et faible s’est échappée de ma gorge, et j’ai entendu la porte d’entrée, en bas, s’ouvrir à la volée. « Juliet ? » Elisabeth. Elle a monté les marches, quatre à quatre, et s’est précipitée sur le bord de mon lit. « Juliet, je suis là, tout va bien. » Je me suis accrochée à elle, en pleurant, en répétant Papa, et Maman sans pouvoir me calmer. Elle a caressé mes cheveux pendant de longs instants, jusqu’à ce que je tombe de fatigue, elle a ramassé le téléphone, a arrangé la pièce, et est allée s’effondrer dans le salon.


« Ca va mieux ? » Je me suis mordue la lèvre, rouge de honte. Jamais encore je n’avais fait de crise devant elle, du moins, pas plus de quelques instants, pas du genre qu’elle aurait eu à gérer. Elle s’est assise sur le bord du lit. « J’suis désolée, Juliet. Je pensais pas que… c’était comme ça. » J’ai haussé une épaule et j’ai pris sa main. « C’est moi qui suis désolée. Tu devrais pas avoir à gérer ça. » Elle a soupiré doucement. « Est-ce qu’on peut… déménager ? Tu sais, les parents, ils avaient cette maison… on pourrait s’y installer un peu ? » « On a besoin de l’accord du juge. » « Il nous le donnera. »
On a hoché la tête, de concert, et on s’est recouchée, en soupirant sur notre malheur, mais notre bonheur aussi.